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29 Novembre 1947, Organisation des Nations Unies.
L’instant crucial arriva. Invités à se prononcer publiquement depuis leur siège, les délégués attendirent en silence que le Président tire au sort le pays qui serait appelé à voter le premier. Quand le nom du Guatemala fut annoncé, il y eut un instant d’agitation. Puis à nouveau, le silence. Délégués, spectateurs et journalistes, tous semblaient accorder à ce vote la même considération. Le représentant du Guatemala se leva. Avant qu’il ne prenne la parole, une voix perçante tomba de la galerie du public, lançant en hébreu un cri aussi vieux que le temps et la souffrance des hommes, « Anna Hashem Hoshia-na – Ô Dieu, sauve-nous »
14 Mai 1948 – Tel Aviv
Un à un les membres du Conseil national vinrent alors apposer leur signature sur le rouleau de parchemin. Puis, figée dans un silence religieux, l’assistance écouta les accents de la Hatikvah. Des larmes coulaient sur beaucoup de visages. Il était 4h37. La cérémonie n’avait duré qu’une demi-heure. David Ben Gourion frappa une nouvelle fois sur la table et déclara :
– L’Etat d’Israël est né. La séance est levée.
Nous sommes lundi, il est neuf heures à peine et je viens de trouver « Ô Jérusalem », le livre de Dominique Lapierre et Larry Collins, dans une librairie de Ben Yehuda Street à Jérusalem. Assis à la terrasse d’un café, je ne peux m’empêcher d’être troublé à la lecture de ces premières lignes. Presque soixante ans plus tôt, les gens sont descendus dans cette même rue, à ce même endroit pour fêter dans la même joie et l’allégresse la création de l’Etat d’Israël. Et le premier pays qui vota cette résolution des Nations Unis, fût le Guatemala, pays où je serais à la fin de cette semaine.
J’ai quitté ce matin les remparts de la vieille ville de Jérusalem pour aller un peu plus vers la nouvelle ville où demain matin, à deux heures, il sera plus facile à un shuttle de m’emporter à l’aéroport pour le retour en France.
Mardi précédent. Le sherout en provenance de Ben Gourion me dépose à la porte de Damas. Je dis alors au chauffeur que mon hôtel est Via Dolorosa, il m’indique qu’il ne peut pas aller plus loin. Les conducteurs juifs ne vont pas dans le quartier musulman et les chauffeurs musulmans ne vont pas dans le quartier juif. Et puis il ne sait pas où se trouve la Via Dolorosa et encore moins l’Austrian Hospice. Nous avons négocié le prix, plus le pourboire bien avant l’arrivée, je paie et descends. Me voilà à Jérusalem.
La porte de Damas est immense, elle est une des nombreuses portes qui parsèment les imposants remparts de la ville. Après avoir descendu quelques escaliers et l’avoir franchie je me retrouve, sans transition aucune, en plein cœur des souks du quartier musulman. Cela me rappelle un peu Marrakech. Les odeurs , les couleurs, le bruit, ce capharnaüm de choses diverses et éparses, les gens qui avancent dans tous les sens sans que l’on puisse savoir si l’on se trouve dans le bon flot et que l’on ne va pas être englouti dans un mouvement contraire, irrémédiablement happé. Chargé de mes sacs à dos, je me faufile avec peine entre les femmes voilées et les hommes aux pas rapides dans les dédales des petites rues sombres et couvertes sans que jamais le ciel n’apparaisse à nouveau. A peine quelques centaines de mètres et me voilà sur une petite place à l’intersection de deux voies. Un vieux panneau indique sur le mur « Austrian » sans plus. Je m’arrête. C’est la Via Dolorosa et le grand bâtiment au cœur de cet endroit est bien l’Austrian Hospice. Il m’aura fallu à peine cinq minutes pour y parvenir. L’endroit n’ouvre qu’à sept heures, je suis bien en avance. Je m’assois alors au bord du trottoir, prés d’un vieux monsieur, mes sacs posés contre le mur derrière nous. Ce sera mon premier moment ainsi, seul à contempler cette ville où j’ai toujours rêvé de venir.
Je suis vraiment fatigué, mais là pas très loin il y a un endroit qu’il me faut voir très rapidement. Une douche et j’emprunte à nouveau les ruelles sombres des souks de Jérusalem. L’activité est telle une fourmilière, impossible de faire autrement que d’avancer, je suis poussé, traîné, bousculé et j’avance tout droit sachant qu’il me faut impérativement ne pas changer de chemin c’est celui là et celui là seul qui m’emmènera là bas, les autres ne feraient que me perdre. C’est un tunnel sans fin, bruyant, mouvant, couvert de bruit, d’épices, de bonbons, de vêtements, de bibelots souvenirs. En fait la vielle ville de Jérusalem au milieu de ses remparts est toute petite, un mouchoir froissé couvert de plis. Rapidement le ciel apparaît, il y a moins de gens subitement, tout s’éclaircit. Contraste saisissant que je vais retrouver systématiquement à chaque passage entre le quartier Musulman et le quartier Juif.
Mon premier check point. Une machine pour vérifier le sac à dos, je pose mes clés le téléphone et le porte-monnaie et je passe au travers du portier électronique sans qu’aucun son n’en sorte. A force de les fréquenter dans les aéroports, je sais ce qui les rendent bruyants. Questions habituelles, d’où je viens, où je vais et pourquoi. Mon anglais est revenu très vite et naturellement je réponds comme une habitude de toujours. Plusieurs fois par jour à Jérusalem l’on passe par ces passages sécurisés. C’est peut être l’une des choses qui étonne le plus : Ces contrôles et le nombre incroyable de militaires ou policiers que l’on croise partout dans et aux abords du quartier juif. Je n’ai jamais réussi à comprendre le système de sécurité. Il y a des dizaines d’uniformes différents sans que l’on puisse définir leur appartenance, police ou armée. Mais tous possèdent de puissantes armes. Et puis, il y a ceux, sans uniforme, simples civils mais avec un revolver à la ceinture dans le dos ou bien une mitraillette à la main, ou bien encore un tout petit fusil que l’on pourrait croire ridicule si l’on ne se disait qu’ils pouvaient être dangereux tout autant que les grands. Et surtout ce qui marque c’est l’âge de ces militaires. De jeunes gens, garçons et filles qui semblent pour beaucoup à peine sortis de l’adolescence.
Plus que quelques mètres et je suis sur l’esplanade du Mur Occidental. Le mur des lamentations. Le seul vestige du second temple, l’endroit le plus sacré du judaïsme. Sans savoir pourquoi, je sais qu’ici est le but de mon voyage, devant ces pierres vieilles de plusieurs milliers d’années et qui portent tant d’histoire. Je ne peux que m’asseoir sur les marches en face et rester là, profiter de cet instant, me remémorer ce que j’ai pu lire de toutes ces croyances qui se sont retrouvées ici, au sein de ces murs, à Jérusalem.
Cela semble un endroit tellement ordinaire, presque vide à cette heure-ci. Les gens y passent, s’y arrêtent parfois, prennent des photos ou bien regardent le mur sans rien d’autre qu’une profonde contemplation.
Agnès m’a dit que l’on pouvait y aller, se rapprocher même si l’on n’était pas juif. Qu’il fallait en revenir sans lui tourner le dos, par respect. Je me lève, et avance en traversant l’esplanade. Je ne suis qu’à quelques mètres lorsqu’un homme en noir me prend par le bras et me montre un endroit là- bas sur la gauche. Il me parle en hébreux et s’aperçoit alors que je ne comprends pas ce qu’il me dit. Peut être n’ai je pas le droit d’être ici. Il me prend presque par la main et pose l’autre sur sa tête dans un geste que je ne comprends pas. Nous traversons ainsi l’espace devant le mur jusqu’à une petite boite transparente posée sur un socle et contenant des kippas en papier. J’ai enfin compris. L’on ne doit pas aller prés du mur sans avoir la tête couverte. Je regarde l’homme en souriant et recouvre ma tête. Il me saluera comme beaucoup d’autres le feront après : Welcome in Israel.
J’ai alors posé mes mains avec douceur. Il y a des endroits qui vous apportent la plénitude, le calme, le repos. Une espèce de douceur intérieure, comme si en vous tout se reposait, comme si les tempêtes se calmaient et que s’effaçaient à cet instant là les douleurs du passé, les craintes de l’avenir, les regrets, les peurs et les questions dont on désespère de ne jamais trouver les réponses. Cela n’a rien de religieux ou bien de mystique, juste un instant spirituel. J’ai rencontré cela à certains moments sur les hauteurs de l’Ile d’Amantani lorsque le seul horizon fût celui du lac Titicaca, ou bien dans les rues chaudes d’Antigua lorsque mes pas ralentissaient et qu’alors mon esprit s’enfuyait, parfois sur les bords de la seine aussi, la nuit lorsque Paris est si joli et ne bruisse que du son du vent. Mais ici, c’est encore différent. Les pas qui vous séparent de l’esplanade au mur vous font franchir bien plus qu’un espace de quelques mètres, si vous le voulez ils vous emmènent ailleurs. Pour moi, ce fût ainsi. Bien au delà de l’endroit où je me trouvais, c’est en moi que j’étais. Jérusalem me faisait ce joli cadeau, d’arrêter tout, le temps de cet instant. Peut être était-ce aussi le bon moment.
Chaque matin je suis passé là, presque comme un rituel. Puis je remontais les marches, j’allais me promener là où les rues ont les couleurs des murs où tout est tranquille et calme croyant presque que nul n’y habite. J’avais pris mes habitudes d’un petit café le long de Jewish quarter street pour un capuccino matinal, me laissant le temps de consulter le guide et d’orienter quelque peu mes pas de la journée. Puis j’allais d’un quartier à un autre visitant une fois les souks, puis la citadelle, me promenant le long des remparts ou sur le mont des oliviers jusqu’à un matin, tôt, où mes pas me portèrent sans le vouloir vraiment devant une petite église, un peu vieille et pleine de charme. Pour je ne sais quelle raison l’un des portails d’entrée avait été muré. Il n’y avait presque personne. Tout de suite à l’entrée, à gauche, dans une pièce ronde, un sanctuaire en bois, gardé par un prêtre orthodoxe. Le peu de gens présents se trouvaient justement à l’entrée de l’endroit dans une file bien organisée. Ils pénétraient alors dans le lieu, les uns après les autres sans jamais en ressortir. Je fis doucement le tour de cette modeste église et en ressorti pour continuer ma route dans les ruelles de Jérusalem.
Deux jours plus tard, assis devant mon capuccino, je me disais que j’allais visiter le Saint Sépulcre. C’est un endroit qu’il s’avérait difficile à trouver, à proximité du quartier Arménien et au cœur du quartier Chrétien. Après des tours et des contours, après en être passé tout proche et m’en être éloigné, je trouvais enfin le parvis. Quelle ne fût pas ma surprise de constater que ma petite église si modeste des jours d’avant était en fait l’église du Saint Sépulcre, là où Jésus Christ avait achevé son chemin de croix. Le sanctuaire en bois qui m’avait étonné, protégeait en fait la tombe du Christ. J’ai alors téléphoné à frère Etienne, là-bas au monastère du Mesnil Saint Loup pour partager avec lui, un peu de ce moment. Je me suis assis longuement et je suis allé ensuite poser mes mains sur la tombe du Christ. Les croyances sont ce qu’elles sont, nous les acceptons ou pas, mais à certains moments elles se rappellent à nous avec douceur.
Je n’ai pas pu aller au Dôme du Rocher, haut lieu sacré de l’Islam. Le temps du ramadan interdisait aux non-musulmans de s’y rendre et pourtant un soir, je n’y fus pas très loin. Il était 16h30 déjà ! Il me fallait rentrer car l’heure de la fin du jeun du ramadan arrivait et toutes les portes d’accès au quartier musulman se trouveraient fermées. L’Austrian Hospice est justement dans ce quartier. Je me faufile d’une ruelle à une autre lorsqu’un militaire m’arrête. Je ne dois pas être ici, c’est l’heure de la prière, ce n’est pas prudent. Je lui explique que j’habite Via Dolorosa, que ce n’est pas loin, que je connais la route, à peine cinq minutes. Il me laisse passer à contre cœur, les conséquences d’un problème ici peuvent être grandes pour toutes les communautés. Je suis dans David Street, la rue qui part de la porte de Jaffa jusqu’à l’esplanade des mosquées, je dois tourner un peu bas à gauche. Mais la foule s’épaissit, le soleil se couche si rapidement, l’obscurité nous emplit, les pas s’accélèrent, dans quelques instants ce sera l’appel à la prière, il faut que chacun soit sur l’esplanade des mosquées au pied du Dôme du rocher. Le Coran dit que c’est l’ultime endroit où le prophète Mahomet a posé le pied sur cette terre avant de monter au ciel. C’est pour cela que cet endroit est aussi l’un des lieux les plus sacrés de l’Islam. Autour de ce rocher où l’on peut encore voir l’empreinte du pied du prophète, les musulmans ont construit un dôme, un dôme en or. Et cette mosquée sacrée entre toutes est à la place exacte du Temple de Salomon avant sa destruction et dont la reconstruction est l’un des piliers du Judaïsme. Impossible de construire à nouveau le temple sans détruire les mosquées sacrées. Quel cruel dilemme !
Via Dolorosa, je sais qu’elle est là- bas, mais le noir de la nuit alourdit tout. Les fumées envahissent le souk, elles annoncent la fin du jeun et le début des prochaines agapes. Quelque part plus loin il y a l’Austrian Hospice, derrière moi le mur des lamentations et là juste devant l’esplanade des mosquées. Je descends de plus en plus rapidement David Street, le bruit se fait de plus en plus fort, la musique aux sons d’Allah s’accroche au mur, inonde le sol, pénètre dans les moindres recoins du souk. Je suis pris dans le torrent des gens, irrémédiablement emporté par une foule qui ne se contrôle plus.
49.99 écrit en noir là- bas au loin sur une affiche tout en hauteur. Je me rappelle c’est une robe, une longue robe noire bordée d’une fine dentelle. Ce chiffre est le prix, je n’avais pas compris pourquoi ce seul prix était indiqué dans presque tout le souk alors qu’ici, la valeur n’existe qu’à l’instant de l’échange. Mais ce prix je sais qu’il est à cent mètres à peine de mon sanctuaire. Tout s’arrête. Une longue clameur envahit le souk. C’est l’appel à la prière. Le flot devient torrent et je ne peux rien y faire, ni à droite, ni à gauche, nul endroit où aller, suivre, quoiqu’il arrive suivre dans le même mouvement vers là-bas, vers l’esplanade où je n’ai pas le droit d’aller. Une main m’attrape alors à nouveau, me tire dans une petite échoppe emplie d’épices aux couleurs et senteurs d’ici. Le vieil homme tout en blanc me fait signe de rester là, d’attendre, qu’il ne faut pas que j’aille par là. Au loin je vois l’hospic, je lui fais signe que je vais là- bas. Il me dit que non, que je dois attendre ici. Le bruit augmente, c’est une vraie marée, à croire que chaque âme de Jérusalem converge vers le même endroit. Et puis tout s’arrête, plus personne, que le bruit de la prière. Le vieil homme s’agenouille sur son tapis, me sourit et je comprends que je peux y aller. L’Austrian Hospice était là à quelques mètres et je ne serais jamais allé sur l’esplanade des mosquées.
A l’aéroport Ben Gourion, le contrôle durera plus de deux heures. Rien que pour moi, comme une faveur personnelle. Deux heures de questions et de fouilles, deux heures de suspicions. Pourquoi suis-je venu en Israël, suis-je seul, qu’ai-je fait. Les mêmes questions toujours posées à nouveau, mes bagages défaits au vu de tous. Ils se relaient pour me poser inlassablement les mêmes demandes. Mon anglais s’appauvrit au grès des interrogations. Il fait chaud tout d’un coup. Parfois ils sourient, s’étonnent de ce que contiennent mes bagages. Les touristes rapportent des souvenirs d’ordinaire, pas moi. Pourquoi ? Parce que je reviendrai. Pourquoi ? Because it’s like that ! Et puis mon avion qui va partir sans moi. Le contrôle s’accélère et je passe du statut de présumé terroriste à celui de VIP. Passage de tous les contrôles de sécurité en priorité et un porteur spécial pour mon sac à dos. Il me reste une petite demi-heure en zone internationale. J’achète le Jérusalem Post, un café trop chaud qui restera en Israël. L’avion, trois places pour moi, cadeau des services de sécurité me dira l’hôtesse. Madrid, Paris, je vous écris d’Antigua, il est tard, j’ai ramené une jolie grippe d’Israël. Le vent sur les toits de Jérusalem aide l’économie médicale du Guatemala.
Lors de la pâque juive, les convives ont émis un unique vœu pendant des milliers d’années : «L’année prochaine à Jérusalem ! »
Merci à Agnès pour m’avoir donné encore plus envie de venir, merci à Sarah pour tout, pour l’adresse des falafels. Merci à John et Lisa de m’avoir donné la possibilité d’y aller. J’ai passé des heures de Jérusalem à Madrid, puis à Paris et Antigua avec « Ô Jérusalem » de Dominique Lapierre et Larry Collins aux Editions Pocket.
05 novembre 2006
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