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Le soleil va se lever dans quelques instants. J’écoute dans le silence de la casa de los volontarios les bruits de la foret qui s’éveille. Il est maintenant près de cinq heure et quart, je me lève doucement, fatigué d’une nuit une nouvelle fois trop courte. Pas d’eau, ni d’électricité, ni de gaz ce matin. La bouteille de gaz a rendu l’âme hier soir, l’eau devrait être rétablie rapidement, mais toujours trop tard pour pouvoir prendre une douche et l’électricité n’est pas installée dans notre maison.
Pas de thé, assis dans un fauteuil trop usé, je grignote quelques galettes en regardant émerger difficilement les autres volontaires qui tout comme moi, aujourd’hui, vont s’occuper des chiquitos. Le soleil se lève, il est cinq heure trente et nous devons y aller. Sur le chemin, quelques ninos sont déjà debout. Il y a de la lumière dans le dortoir de chiquitos, peut-être seront-ils réveillés !
Au milieu de la pièce, quatre matelas posés a même le sol. Au matin on retrouve ainsi sept ou huit petits qui dorment ensemble dans ce lit improvisé durant la nuit. Seul Timo semble être sorti du sommeil. Angelica et Yadira n’ont pas quittées leur lit. Je me dirige vers Anna, allongée au milieu de tous.
Le premier jour ou je suis arrivé, j’ai croisé le regard d’Anna, elle est venue vers moi, je l’ai pris dans mes bras. Depuis ce moment, elle est ma préférée. C’est une petite fille de deux ans, aux yeux immenses qui vous regardent et vous transpercent le cœur instantanément. Le soir, Anna a toujours besoin de quelqu’un pour dormir. Je prend un livre, lui parle un peu en espagnol, un peu en français et elle s’endort ainsi dans mes bras. Au matin, j’aime la réveiller, lui parler doucement, la regarder au moment où elle ouvre les yeux pour la première fois.
Tous les enfants doivent prendre une douche. Il est presque six heure lorsque nous commençons les négociations. Les minutes sont longues, très longues et inlassablement nous répétons toujours les mêmes mots. A la doucha por favor, suplique inutile a laquelle l’on rajoute rapidement, mas rapido, es la hora para comer. Le mot « comer » est bien souvent un mot magique ici, il signifie qu’il est l’heure de manger, moment très important dans la journée des chiquitos.
Je n’ai pas trouvé de mot magique pour Anna. Je la prend simplement dans mes bras et lui laisse alors le temps de se réveiller doucement. Parfois je croise le regard désapprobateur d’un autre volontaire, mais si il ne peut pas comprendre simplement en regardant, comment pourrais-je lui expliquer. Il ne me reste plus qu’à jongler avec les autres afin de les laver, un bras occupé avec Anna et un autre pour savonner, sécher et habiller.
Il nous faut plus d’une heure pour que tous les chiquitos passent à la douche et que l’on puisse enfin les habiller. Nous prenons la direction du réfectoire, en face du dortoir. Petit rituel, « un, dos, tres » avant de prendre place à la grande table. Bien souvent le petit déjeuner se compose du triptyque immuable des repas de Casa Guatemala : huevos, frijoles et arroz (œufs, haricots noirs et riz). J’ai toujours un œil sur Anna. Au Guatemala, les gens n’utilisent que très rarement les couverts comme nous autres. Ils se servent de tortillas et confectionnent avec leurs mains des sortes de sandwich.
Les premières fois ou j’ai vu Anna manger, j’ai du sortir du réfectoire. Elle mangeait exclusivement avec ses mains, déposait une grande partie de son repas sur la table, jouait un peu avec, le mangeait, se battait avec son voisin pour que celui-ci ne le lui vole pas. J’avais en moi mes images occidentales, mes us, coutumes et manières de faire. J’avais ce que j’avais appris de l’hygiène. Je voyais alors Anna, petit enfant, ailleurs de cet endroit où je croyais indispensable qu’un enfant fût et mes yeux trahissaient ce bouleversement émotionnel qui s’opérait alors violemment en moi. Et pourtant, elle souriait de ce jeu alimentaire, continuait a me regarder de ses grands yeux et me faisait voir le chemin de ses mains garnies de nourriture se dirigeant vers sa bouche comme voulant me dire, tu vois je mange. Encore aujourd’hui, je ne peux me défaire de cette image et lorsqu’elle est en moi, je sors a nouveau du réfectoire.
Il est sept heure trente. Nous emmenons les enfants à l’école. Sous le préau, chaque classe est en ligne devant son professeur. Voila plus de deux heures que nous sommes levés et nous avons maintenant devant nous un moment de libre. Je retourne a la casa de los volontarios. Je n’ai jamais pu m’habituer au petit déjeuner très matinal et très typique du Guatemala. A six heure trente du matin, les œufs et les frijoles ont toujours du mal à passer pour moi. Alors je me prépare un petit déjeuner qui est plus proche de mes habitudes. Entre temps, Patrick a rapporté une nouvelle bombonne de gaz et nous pourrons ainsi faire chauffer un peu d’eau. Un peu de thé, une bouillie de maizena à la vanille. Puis quelques instants vides, le regard perdu sans un mot. Autour de moi chacun s’affaire. Les uns sont professeurs, d’autres vendent les œufs de notre ferme dans les villages alentours, d’autres encore s’occupent de poterie ou de théâtre.
Je vais prendre ma douche. Cela est devenu un rituel. C’est un moment très important pour moi. Ici tout est sale. Nous sommes en pleine saison des pluies, la terre est rouge et boueuse. Les moustiques omniprésents vous transforment très rapidement en plaie vivante. Les vêtements ne tiennent pas une heure propres et nos jambes sont souvent maculés de boues. La douche a trois fonctions essentielles. Elle permet de re-devenir propre, on se désinfecte un peu de toutes les piqûres de moustiques et puis, c’est le seul moment où l’on peut avoir un peu d’intimité.
Nous sommes vingt quatre dans la maison et celle-ci n’est pas très grande. Il n’y a pas un instant dans la journée ou l’on peut se retrouver un peu seul dans un espace où l’on pourrait croire qu’il nous appartient. A Casa Guatemala, il y a toujours quelqu’un à côté de soi ou pas très loin. Mais lorsque l’on referme le rideau de la douche et que le bruit de l’eau couvre la vie des autres, alors enfin ce moment vous appartient. Faute d’alternative, j’ai appris à prendre des douches froides, très froides. Mais les chiquitos, une heure avant moi, l’on fait aussi, alors …
Le temps qui va suivre, avant qu’il ne soit onze heure et que l’on récupère les chiquitos à la sortie de l’école, ne va me servir a rien du tout, parfois trop court, parfois trop long et puis ici, en dehors de s’occuper des enfants, il n’y a rien a faire. J’en profite souvent pour téléphoner en France. Je raconte des choses et d’autres, mes joies, mes peines. Je n’arrive pas a dire que c’est difficile, non pas le travail, mais les enfants. Etre là, au milieu de tous, avec des souvenirs de bien longtemps qui me reviennent. Toutes ces choses que je ne peux accepter, ces injustices et puis les regards d’Anna ou d’un autre qui parfois me brûlent le cœur.
J’ai le double de l’age des autres volontaires, nos langages sont diffèrent, nos histoires autres. Je n’arrive pas leur expliquer que les rituels de vie que l’on impose aux enfants sont bien dérisoires. Que la nécessité est autre. Qu’au delà de leur présent, c’est leur histoire que l’on construit ici et maintenant. Que dans quinze ou vingt ans, ils demanderont peut-être ce qu’ils étaient lorsqu’ils avaient cinq ans. L’on se doit de laisser des traces, raconter les histoires, donner des images pour que demain ils sachent un peu de leur enfance. Dire que des gens les ont aimés et se sont occupés d’eux simplement parce qu’ils le voulaient.
A onze heure, la maîtresse d’école emmène les chiquitos au réfectoire pour le déjeuner. Nous en profitons nous-même pour avaler notre traditionnel Huevos-Frijoles-Arroz. Repas rapidement pris assis á terre le long du dortoir des ninos. A peine dix ou quinze minutes plus tard nous voyons sortir les premiers petits. Ils se précipitent bien souvent vers nous et ainsi nous voila parti pour deux heures en attendant la rentrée des classes de l’après-midi.
La mère de Inyuri, vient nous dire que cet après-midi, sa fille n’ira pas a l´école, qu’elle la garde avec elle. Je ne sais pas exactement quoi, mais quelque chose en elle me choque tout d’un coup. Elle travaille à Casa Guatemala et a laissé sa fille à la charge complète de l’orphelinat. Cela ressemble à un abandon, sans en être un tout a fait. Situation tout a fait ambiguë et probablement très difficile a comprendre pour Inyuri.
Je sais ce que j’ai trouvé de bizarre dans la mère de Inyuri aujourd’hui. Hier elle était enceinte et aujourd´hui, elle ne l’est plus ! J’ai appris plus tard dans la journée, qu’elle avait accouchée dans la nuit et que son enfant avait été envoyé aussitôt à Guatemala City dans l’orphelinat pour bébé. La mère était venu ainsi travailler le lendemain matin et avait demander a voir son autre fille dans l’après-midi. C’est vrai qu’elle avait un regard triste aujourd’hui, plus triste que d’habitude.
Apres chaque repas, tous les enfants doivent se brosser les dents. Une fois se rituel passer, nous pouvons ensemble aller à la playroom. C’est une petite pièce dans laquelle se trouve énormément de jouets et que les chiquitos adorent. Nous y passons un peu plus d’une heure et puis arrive vite le temps du retour en classe.
Le chemin pour aller vers le préau à cette heure-ci est toujours un peu difficile pour nous autres volontaires. Il y a une sorte de voie que les enfants devraient normalement emprunter, mais qu’ils s’ingénuent à éviter. Ainsi devons nous courir a droite ou a gauche afin de les récupérer. Une des obligations fortes que l’on a lorsque l’on est avec les chiquitos et de tous bien les surveiller et de les compter en permanence. La raison évidente est de ne pas en perdre un. Alors le danger n’est pas trop de ne pouvoir le retrouver, puisque Casa Guatemala n’est pas très grand. Le danger provient des autres enfants plus grands. Avant d’être ici, beaucoup d’entre eux ont subis des sévices sexuels et ont tendance à vouloir les reproduire sur les chiquitos. C’est arrivé á plusieurs reprises ici et nous restons alors très vigilants.
Il est treize heure dix, les chiquitos sont avec leur professeur et nous avons quelques temps de libre avant seize heure, heure à laquelle nous devrons à nouveau les récupérer. Durant ce temps là, je n’ai pas trop d’occupations. Un peu de soleil sur le bord du lac, une bouteille de coca, j’essaie de lire, mais la chaleur est bien souvent étouffante. Et puis le temps passe très vite. Il est déjà venu le temps des chiquitos.
Quelques minutes dans la cour, sous le soleil ou bien sous la pluie. Pour les enfants la pluie est une véritable bénédiction, cela veut dire qu’ils vont nous obliger à venir les chercher. Ici les pluies sont diluviennes. Ils courent, et nous autres les pourchassons, mouillés jusqu’aux os. Nous arrivons á en rattraper un et c’est un autre qui part. Enfin, ils sont tous regroupés dans le dortoir.
Deuxième douche de la journée, j’ai toujours Anna á la main. Une femme de l’office arrive et nous dit que nous devons préparer spécialement Anna. Interloqués, nous lui demandons alors pourquoi. Elle nous répond qu’Anna part ce soir pour Guatemala city et qu’elle doit voir sa mère. Anna n’a jamais vu sa mère, elle a toujours été dans les rues de Guatemala City. Une volontaire va s’occuper particulièrement d’elle pour qu’elle soit belle.
Quelque chose ne fonctionne plus en moi, je ne comprends pas trop ce qu’il se passe. Je prends Monica par la main et l’emporte vers la douche. Elle ne veut pas, pleure doucement. J’essaie de la savonner en lui parlant mais elle continue de pleurer. Je l’enveloppe alors dans une serviette, la sort de la douche et la pose sur la table d’habillage, elle pleure toujours. Et puis, plus rien. Un regard vide, si loin, si triste, elle ne pleure plus, ne bouge plus. Elle n’est plus la, partie dans un autre monde. Je la prends contre moi et nous partons ensemble un peu plus loin. Anna que l’on prépare pour partir et Monica dans mes bras qui tout doucement met ses mains autour de mon cou et s’endort.
Je la pose délicatement dans son lit. Il est un peu plus de dix neuf heure, tous les chiquitos dorment, sauf Anna que l’on finit de préparer. C’est la fin de notre journée.
Nous sommes mercredi. Ce soir nous irons tous a l´hôtel Backpackers pour un peu d’internet et boire tranquillement un verre entre nous. Dans le bateau, Anna est á coté de moi, nos derniers moments ensemble, une dernière photo.
Quelques jours après nous apprendrons que le juge a décidé qu’Anna resterait chez sa mère. Nous ne la reverrons sûrement plus jamais.
Casa Guatemala est au Guatemala, il y a plus de deux cent cinquante enfants. Beaucoup d’entre eux, ont été violés et battus par leurs parents. Beaucoup vivaient dans les rues des villes, abandonnés. Ils sont maintenant dans un village orphelinat en pleine jungle tropicale sur le bord du Rio Dulce.
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