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Ici, à Siem Reap, si vous décidez de parcourir de long en large les rues encombrées de la ville en vélo, vous aurez indéniablement besoin d’un petit dispositif sonore que l’on nomme vulgairement « sonnette ».
La mienne ayant un fonctionnement erratique, j’ai décidé de partir à la quête d’une nouvelle. C’est ainsi que j’ai trouvé Eglantine !
Je conçois facilement que cela peut sembler puéril et bien futile d’accorder une telle importance à ce petit engin commun. Mais si vous avez déjà fréquenté les villes d’Asie, vous comprendrez alors combien prévenir les autres de votre présence sur la route devient rapidement une question de vie ou de mort.
Ici la circulation est chaotique, désordonnée, incohérente, et parfois même disloquée. La droite ou la gauche n’ont pas de sens, la priorité est inexistante, tout se fait dans l’inconscience totale. C’est un joyeux capharnaüm où chacun sourit à l’autre, trop heureux ne s’être pas fait envoyé de vie à trépas dans l’instant. Les grosses Lexus rutilantes se frayent un chemin laborieusement entre les tuktuk nonchalants et les scooters transformés souvent en transport en commun. Au milieu de cette tourmente il y a le vélo. Dans le flot capricieux de la circulation, le vélo est en bas de l’échelle de survie et le vélo conduit par un occidental, juste en dessous. Alors il vous faut une sonnette, non pas comme un accessoire de loisir ou esthétique, mais comme un véritable compagnon de route, de vie.
Eglantine, s’enorgueillit d’un timbre cristallin, puissant lorsqu’il le faut, doux et mélodieux comme un clin d’œil à d’autres moments. Elle est au bord de mon pouce, prête à chaque instant à manifester avec aplomb ma présence. Fière, elle trône majestueuse sur mon guidon surveillant les inconvenants qui voudraient prétendre à mon intégrité. Délicate, elle se fait discrète lorsque sur les chemins de campagne elle se laisse caresser par le vent dans le silence des rizières.
Je me devais de vous la présenter. Belle journée à vous
Je voulais vous parler ce matin de Somali et de Sith. Somali est la femme du propriétaire de la Guesthouse dans laquelle je suis installé et Sith y travaille pour le moment.
Somali a un cancer. Trois fois par mois elle doit se rendre à Bangkok pour des séances de chimiothérapie. C’est un long voyage d’une journée, en voiture, sur les routes cahoteuses qui rejoignent le Cambodge à la Thaïlande. C’est l’ancien patron de son mari qui a offert de payer tous les frais médicaux de Somali. Ici au Cambodge elle n’aurait pas pu être soignée.
Notre guesthouse devait être finie fin décembre. Tout a pris du retard et les touristes sont déjà arrivés au milieu d’une maison en chantier. Alors Somali avec son cancer et son mari avec son grand chapeau viennent travailler ici, parce qu’ils se sentent responsables, parce qu’il en va surement de leur honneur. Somali, à longueur de journée pousse sa fragilité au milieu des amas de gravas.
Sith, arrive chaque matin à huit heure sur sa vieille mobylette cabossée. C’est un jeune de vingt-deux ans qui vit plus loin dans la campagne environnante. Sith est un manœuvre de la construction. Il n’a pas de qualification. Il prépare le béton, porte les seaux de sables, déblaie les cailloux. Il faut dire qu’ici, au Cambodge, tout se fait à la main, pas de brouettes ou d’engins motorisés pour aider. Sith repart vers dix-huit heure à la nuit tombée. Le midi il prend une brève pause pour avaler en toute rapidité un bol de riz. Sith travaille sept jours sur sept et les congés sont une notion inconnue. Ne pas travailler pour lui, c’est d’abord ne pas pouvoir nourrir sa famille.
Le salaire des ouvriers comme Sith vient d’être augmenté. Il est passé de 1.75€ à 2.00€ par jour. Ici une assiette de riz sauté aux légumes sur le marché vaut 1.20€, un camembert venu de France 16.00€ au mini supermarket de la ville. Si tout se passe bien, Sith va gagner 60 euros ce mois ci.
Somali et Sith, lorsque leur regard croise le votre, vous sourient toujours. Tout le temps, jamais ils ne cessent de vous sourire. Ils vous sourient comme si, à chaque fois, ils voulaient vous donner un peu de leur bonheur. Ils vous sourient avec douceur.
Cette photo a été prise ce matin, il était huit heure trente. Le mari de Somali est venu chercher un outil et lorsqu’il a vu sa femme travailler ainsi, il lui a demandé, avec autorité, d’arrêter. Ce qu’elle fit dans l’instant même, s’asseyant alors sur une chaise. Rassuré, il est reparti travailler derrière la maison. Elle s’est levée, doucement, a pris à nouveau une grosse pierre et l’a transportée dans le camion.
Je prenais un café sur la terrasse de la maison, j’écoutais Imagine de John Lennon.
Le ciel est bleu et déjà la chaleur de l’été nous enveloppe. Nous sommes à Siem Reap au Cambodge.
Nous sommes au cœur de l’après-midi lorsque le Nélio Correa se détache lentement de l’embarcadère. Nous quittons Manaus sous le regard des familles venues pour un dernier au revoir. Sur le port c’est toujours un peu la fête lorsqu’un bateau s’en va descendre l’Amazone.
Les marchandises ont été chargées depuis le matin dans la cale et sur le pont inférieur. C’est un ensemble hétéroclite qui a ainsi prit place à la force des bras, un mélange de chaises par dizaines, de ballots de bois étranges, des climatiseurs, un lit, deux motos, des caisses bleues et vides par centaines et d’autres paquets petits et grands dont on se demande si jamais ils arriveront à destination tellement ils semblent anonymes. Sur le premier pont, les familles se sont installées, hamacs tendus, bagages en dessous, chacun construit son petit univers aux frontières invisibles. Sur le pont supérieur, il y a le bar et la musique Brésilienne résonnante dans chacun des recoins du bateau durant une grande partie de la journée. C’est sur ce pont que se sont installés les jeunes, c’est là que je jouerais mes premières parties de domino durant lesquelles, chacun claque violemment sa pièce sur la table avant de la poser à l’endroit où elle convient d’être.
Au bout du premier pont se trouve le réfectoire, petite pièce qu’une climatisation mourante rend glaciale et assourdissante. J’y prendrais régulièrement mes seuls petits déjeuners pour profiter du café chaud et trop abondamment sucré. Un œuf au plat, une lamelle de jambon et de fromage, un petit pain rond complèteront ce repas du matin.
Nous étions probablement un peu plus d’une centaine sur le bateau et trois touristes, un américain, lecteur stakhanoviste dans son hamac du pont supérieur et un espagnol enfermé pendant tout le voyage dans sa cabine au point d’obliger à une ouverture forcée de sa porte à l’arrivée.
Les deux premiers jours, l’essentiel de mes relations avec les autres passagers se limitèrent à de larges et grands sourires réciproques et des bom dia difficilement prononcés. Et puis, au soir du troisième jour Francimar et sa femme sont venus me voir. Il avait passé quelques temps en Colombie et parlait un peu d’Espagnol. Nous avons beaucoup parlé ce soir là. Le lendemain matin, dans les sourires et les bonjours de Brésiliens j’ai compris qu’il avait passé le message de qui j’étais et du pourquoi je ne parlais pas trop. Mon Brésilien est outrageusement trop pauvre. Tous ceux qui parlaient quelques mots d’Espagnol sont alors venus me voir pendant le reste du voyage, les femmes me parlaient doucement en Portugais et les hommes restaient simplement à coté de moi comme pour me dire que je faisais partie de cette grande famille du bateau.
Nous avons ainsi partagés de sublimes couchers de soleil, les levers matinaux, la contemplation du vol des oiseaux le soir lorsqu’ils s’en vont d’une rive à l’autre de l’Amazone. Nous avons regardé ces chargements et déchargements durant les huit escales de notre périple. Ils ont souris à me voir prendre des photos de chacune des maisons que nous croisions sur les berges. Ils m’ont dit le prix des gateaux, des sucos ou autres plats que des vendeurs s’empressaient de nous proposer des que le bateau s’arrêtaient. Francimar m’a emmené dans les petits villages des ports où notre attente était plus longue. Il m’a donné sa bague pour que je me rappelle de lui et nous avons bu des bières ensemble.
Un matin, un grand frémissement étrange envahit le bateau. J’étais à l’avant, contemplant comme toujours cet immense fleuve quant deux ou trois personnes m’ont fait signe de venir. Nous étions dans un des bras de l’Amazone, très proche d’une berge et c’est alors que par dizaines des petites barques essayaient de venir à la rencontre de notre embarcation. De partout, de tous les ponts les gens jetaient des sacs en plastique dans le fleuve. Quelqu’un m’a expliqué que c’était une tradition, que dans les sacs se trouvaient des vêtements ou de la nourriture et que dans les barques se trouvaient les habitants pauvres de la foret qui n’avaient pas toujours la possibilité de trouver de quoi se vêtir ou se nourrir.
Durant cinq jours, ce fût une ambiance nonchalante ou chacun régulièrement retrouvait son hamac, ce fût des centaines de sourire, des mots incompris qui déclenchaient des rires sans fin. Ce fût des rencontres d’un fugace instant, mais joyeuses tout le temps. Ces jours furent au delà de ce que j’attendais et aujourd’hui encore j’ai dans le sourire, le visage de chacun.
Ici se retrouve tels deux amants, l’Amazone, appelé jusqu’alors le Solimöes et le Rio Negro qui prend sa source en Colombie.
Ces deux géants vont durant plus de neuf kilomètres couler ainsi l’un à coté de l’autre, s’effleurant au fil de leurs courants différents. L’Amazone, impétueux coule à plus de 6km heure alors que le Rio Négro, nonchalant flâne à peine à 2km heure.
L’Amazone, frais comme un gardon affiche 22° alors que le Rio Négro, profitant du soleil élève allègrement sa température jusqu’a 28°. C’est à la fois cette différence de température et de vitesse qui permet à ses deux enfants terribles de se côtoyer ainsi avant de se rencontrer définitivement ce qui ne sera plus que l’Amazone.
Je ne peux vous dire que le pourquoi de ce fleuve partagé en deux car comment pourrais je dire l’émotion d’être ici.
J’attends avec impatience de revenir avec le groupe en octobre pour lire dans leurs yeux tout ce que les miens ont trouvé de majestueux en cet endroit là.
Depuis Jérusalem, il y a eu à nouveau le Guatemala et des rencontres formidables, toute la bande du nord de l’Europe, les soirées mémorables, la peinture de toute l’école avec Nina, elle en jaune et moi en bleu.
Et puis, la Chine d’abord avec Elise et ensuite seul. La découverte de la Grande Muraille, la Cité Interdite, la place Tien An Men, Xian l’ancienne, Shanghai la moderne. La traversée en train et Shengdu, la maison de thé, les après-midi avec Monsieur Wong à parler du temps d’avant en Chine, de l’Europe, de la folie du monde de maintenant, tasses après tasses de thé. Et le départ pour le Tibet
Lhassa, que j’avais rêvé si longtemps. Notre périple avec Atisha dans les montagnes, les nuits grelottantes dans les monastères, la soupe de pâtes et notre repaire autour du poêle dans ce petit village entre deux vallées. Le joli sourire de Tenlichoton lorsqu’elle nous voyait redescendre de la montagne. L’horreur du thé au beurre de yak, du boudin encore chaud, des enterrements célestes. La beauté des montagnes, l’immensité des vallées, les enfants qui partent à l’école le dimanche après-midis, qui s’arrêtent pour être pris en photos, ils me regardent avec pas encore l’habitude de l’étranger. La chine avance tellement vite au Tibet, que demain ils ne s’étonneront plus des visages différents. Notre retour à Lhassa, l’intérieur de la voiture de police, les vitres teintées, mon passeport qu’ils ne me rendent pas et Atisha qui repart avant notre arrivée. Les cours de Lhassa avec Sonamlhamu, ces journées à arpenter les vieilles ruelles, nos papotages dans un mauvais anglais et tous ces gens qui nous rencontrons pour une heure, une demi-journée. Là où l’on apprend à parler sans les mots, étranges conversations d’une part en Tibétain et d’autre en Français, des éclats de rires, une photo, un portrait que je rapporte du toit du monde.
Et puis la vie parisienne et quelques jours en Ouzbékistan pour accompagner un groupe, une cheville qui s’abime salement, mais de vrais et belles rencontres aussi et très bientôt un autre groupe pour l’Afrique du Sud.
Voilà, j’aurais surement beaucoup plus à dire sur le dernier voyage au Guatemala qui fût l’occasion de si beaux moments et sur le Tibet. La beauté des gens, la beauté du pays, la souffrance d’une culture qui peut se perdre rapidement dans celle d’un autre pays conquérant, la force de l’Himalaya, nos séances photos à presque 6000 mètres avec Atisha , les rencontres avec les nomades, l’esprit du Bouddha et le fromage de Yak !
Mais je ne trouve plus les mots depuis un moment, alors je vous ai laissé quelques photos que vous pouvez voir ici ou ailleurs, —> Autres photos
Hasta siempre
04 Octobre 2008
29 Novembre 1947, Organisation des Nations Unies.
L’instant crucial arriva. Invités à se prononcer publiquement depuis leur siège, les délégués attendirent en silence que le Président tire au sort le pays qui serait appelé à voter le premier. Quand le nom du Guatemala fut annoncé, il y eut un instant d’agitation. Puis à nouveau, le silence. Délégués, spectateurs et journalistes, tous semblaient accorder à ce vote la même considération. Le représentant du Guatemala se leva. Avant qu’il ne prenne la parole, une voix perçante tomba de la galerie du public, lançant en hébreu un cri aussi vieux que le temps et la souffrance des hommes, « Anna Hashem Hoshia-na – Ô Dieu, sauve-nous »
14 Mai 1948 – Tel Aviv
Un à un les membres du Conseil national vinrent alors apposer leur signature sur le rouleau de parchemin. Puis, figée dans un silence religieux, l’assistance écouta les accents de la Hatikvah. Des larmes coulaient sur beaucoup de visages. Il était 4h37. La cérémonie n’avait duré qu’une demi-heure. David Ben Gourion frappa une nouvelle fois sur la table et déclara :
– L’Etat d’Israël est né. La séance est levée.
Nous sommes lundi, il est neuf heures à peine et je viens de trouver « Ô Jérusalem », le livre de Dominique Lapierre et Larry Collins, dans une librairie de Ben Yehuda Street à Jérusalem. Assis à la terrasse d’un café, je ne peux m’empêcher d’être troublé à la lecture de ces premières lignes. Presque soixante ans plus tôt, les gens sont descendus dans cette même rue, à ce même endroit pour fêter dans la même joie et l’allégresse la création de l’Etat d’Israël. Et le premier pays qui vota cette résolution des Nations Unis, fût le Guatemala, pays où je serais à la fin de cette semaine.
J’ai quitté ce matin les remparts de la vieille ville de Jérusalem pour aller un peu plus vers la nouvelle ville où demain matin, à deux heures, il sera plus facile à un shuttle de m’emporter à l’aéroport pour le retour en France.
Mardi précédent. Le sherout en provenance de Ben Gourion me dépose à la porte de Damas. Je dis alors au chauffeur que mon hôtel est Via Dolorosa, il m’indique qu’il ne peut pas aller plus loin. Les conducteurs juifs ne vont pas dans le quartier musulman et les chauffeurs musulmans ne vont pas dans le quartier juif. Et puis il ne sait pas où se trouve la Via Dolorosa et encore moins l’Austrian Hospice. Nous avons négocié le prix, plus le pourboire bien avant l’arrivée, je paie et descends. Me voilà à Jérusalem.
La porte de Damas est immense, elle est une des nombreuses portes qui parsèment les imposants remparts de la ville. Après avoir descendu quelques escaliers et l’avoir franchie je me retrouve, sans transition aucune, en plein cœur des souks du quartier musulman. Cela me rappelle un peu Marrakech. Les odeurs , les couleurs, le bruit, ce capharnaüm de choses diverses et éparses, les gens qui avancent dans tous les sens sans que l’on puisse savoir si l’on se trouve dans le bon flot et que l’on ne va pas être englouti dans un mouvement contraire, irrémédiablement happé. Chargé de mes sacs à dos, je me faufile avec peine entre les femmes voilées et les hommes aux pas rapides dans les dédales des petites rues sombres et couvertes sans que jamais le ciel n’apparaisse à nouveau. A peine quelques centaines de mètres et me voilà sur une petite place à l’intersection de deux voies. Un vieux panneau indique sur le mur « Austrian » sans plus. Je m’arrête. C’est la Via Dolorosa et le grand bâtiment au cœur de cet endroit est bien l’Austrian Hospice. Il m’aura fallu à peine cinq minutes pour y parvenir. L’endroit n’ouvre qu’à sept heures, je suis bien en avance. Je m’assois alors au bord du trottoir, prés d’un vieux monsieur, mes sacs posés contre le mur derrière nous. Ce sera mon premier moment ainsi, seul à contempler cette ville où j’ai toujours rêvé de venir.
Je suis vraiment fatigué, mais là pas très loin il y a un endroit qu’il me faut voir très rapidement. Une douche et j’emprunte à nouveau les ruelles sombres des souks de Jérusalem. L’activité est telle une fourmilière, impossible de faire autrement que d’avancer, je suis poussé, traîné, bousculé et j’avance tout droit sachant qu’il me faut impérativement ne pas changer de chemin c’est celui là et celui là seul qui m’emmènera là bas, les autres ne feraient que me perdre. C’est un tunnel sans fin, bruyant, mouvant, couvert de bruit, d’épices, de bonbons, de vêtements, de bibelots souvenirs. En fait la vielle ville de Jérusalem au milieu de ses remparts est toute petite, un mouchoir froissé couvert de plis. Rapidement le ciel apparaît, il y a moins de gens subitement, tout s’éclaircit. Contraste saisissant que je vais retrouver systématiquement à chaque passage entre le quartier Musulman et le quartier Juif.
Mon premier check point. Une machine pour vérifier le sac à dos, je pose mes clés le téléphone et le porte-monnaie et je passe au travers du portier électronique sans qu’aucun son n’en sorte. A force de les fréquenter dans les aéroports, je sais ce qui les rendent bruyants. Questions habituelles, d’où je viens, où je vais et pourquoi. Mon anglais est revenu très vite et naturellement je réponds comme une habitude de toujours. Plusieurs fois par jour à Jérusalem l’on passe par ces passages sécurisés. C’est peut être l’une des choses qui étonne le plus : Ces contrôles et le nombre incroyable de militaires ou policiers que l’on croise partout dans et aux abords du quartier juif. Je n’ai jamais réussi à comprendre le système de sécurité. Il y a des dizaines d’uniformes différents sans que l’on puisse définir leur appartenance, police ou armée. Mais tous possèdent de puissantes armes. Et puis, il y a ceux, sans uniforme, simples civils mais avec un revolver à la ceinture dans le dos ou bien une mitraillette à la main, ou bien encore un tout petit fusil que l’on pourrait croire ridicule si l’on ne se disait qu’ils pouvaient être dangereux tout autant que les grands. Et surtout ce qui marque c’est l’âge de ces militaires. De jeunes gens, garçons et filles qui semblent pour beaucoup à peine sortis de l’adolescence.
Plus que quelques mètres et je suis sur l’esplanade du Mur Occidental. Le mur des lamentations. Le seul vestige du second temple, l’endroit le plus sacré du judaïsme. Sans savoir pourquoi, je sais qu’ici est le but de mon voyage, devant ces pierres vieilles de plusieurs milliers d’années et qui portent tant d’histoire. Je ne peux que m’asseoir sur les marches en face et rester là, profiter de cet instant, me remémorer ce que j’ai pu lire de toutes ces croyances qui se sont retrouvées ici, au sein de ces murs, à Jérusalem.
Cela semble un endroit tellement ordinaire, presque vide à cette heure-ci. Les gens y passent, s’y arrêtent parfois, prennent des photos ou bien regardent le mur sans rien d’autre qu’une profonde contemplation.
Agnès m’a dit que l’on pouvait y aller, se rapprocher même si l’on n’était pas juif. Qu’il fallait en revenir sans lui tourner le dos, par respect. Je me lève, et avance en traversant l’esplanade. Je ne suis qu’à quelques mètres lorsqu’un homme en noir me prend par le bras et me montre un endroit là- bas sur la gauche. Il me parle en hébreux et s’aperçoit alors que je ne comprends pas ce qu’il me dit. Peut être n’ai je pas le droit d’être ici. Il me prend presque par la main et pose l’autre sur sa tête dans un geste que je ne comprends pas. Nous traversons ainsi l’espace devant le mur jusqu’à une petite boite transparente posée sur un socle et contenant des kippas en papier. J’ai enfin compris. L’on ne doit pas aller prés du mur sans avoir la tête couverte. Je regarde l’homme en souriant et recouvre ma tête. Il me saluera comme beaucoup d’autres le feront après : Welcome in Israel.
J’ai alors posé mes mains avec douceur. Il y a des endroits qui vous apportent la plénitude, le calme, le repos. Une espèce de douceur intérieure, comme si en vous tout se reposait, comme si les tempêtes se calmaient et que s’effaçaient à cet instant là les douleurs du passé, les craintes de l’avenir, les regrets, les peurs et les questions dont on désespère de ne jamais trouver les réponses. Cela n’a rien de religieux ou bien de mystique, juste un instant spirituel. J’ai rencontré cela à certains moments sur les hauteurs de l’Ile d’Amantani lorsque le seul horizon fût celui du lac Titicaca, ou bien dans les rues chaudes d’Antigua lorsque mes pas ralentissaient et qu’alors mon esprit s’enfuyait, parfois sur les bords de la seine aussi, la nuit lorsque Paris est si joli et ne bruisse que du son du vent. Mais ici, c’est encore différent. Les pas qui vous séparent de l’esplanade au mur vous font franchir bien plus qu’un espace de quelques mètres, si vous le voulez ils vous emmènent ailleurs. Pour moi, ce fût ainsi. Bien au delà de l’endroit où je me trouvais, c’est en moi que j’étais. Jérusalem me faisait ce joli cadeau, d’arrêter tout, le temps de cet instant. Peut être était-ce aussi le bon moment.
Chaque matin je suis passé là, presque comme un rituel. Puis je remontais les marches, j’allais me promener là où les rues ont les couleurs des murs où tout est tranquille et calme croyant presque que nul n’y habite. J’avais pris mes habitudes d’un petit café le long de Jewish quarter street pour un capuccino matinal, me laissant le temps de consulter le guide et d’orienter quelque peu mes pas de la journée. Puis j’allais d’un quartier à un autre visitant une fois les souks, puis la citadelle, me promenant le long des remparts ou sur le mont des oliviers jusqu’à un matin, tôt, où mes pas me portèrent sans le vouloir vraiment devant une petite église, un peu vieille et pleine de charme. Pour je ne sais quelle raison l’un des portails d’entrée avait été muré. Il n’y avait presque personne. Tout de suite à l’entrée, à gauche, dans une pièce ronde, un sanctuaire en bois, gardé par un prêtre orthodoxe. Le peu de gens présents se trouvaient justement à l’entrée de l’endroit dans une file bien organisée. Ils pénétraient alors dans le lieu, les uns après les autres sans jamais en ressortir. Je fis doucement le tour de cette modeste église et en ressorti pour continuer ma route dans les ruelles de Jérusalem.
Deux jours plus tard, assis devant mon capuccino, je me disais que j’allais visiter le Saint Sépulcre. C’est un endroit qu’il s’avérait difficile à trouver, à proximité du quartier Arménien et au cœur du quartier Chrétien. Après des tours et des contours, après en être passé tout proche et m’en être éloigné, je trouvais enfin le parvis. Quelle ne fût pas ma surprise de constater que ma petite église si modeste des jours d’avant était en fait l’église du Saint Sépulcre, là où Jésus Christ avait achevé son chemin de croix. Le sanctuaire en bois qui m’avait étonné, protégeait en fait la tombe du Christ. J’ai alors téléphoné à frère Etienne, là-bas au monastère du Mesnil Saint Loup pour partager avec lui, un peu de ce moment. Je me suis assis longuement et je suis allé ensuite poser mes mains sur la tombe du Christ. Les croyances sont ce qu’elles sont, nous les acceptons ou pas, mais à certains moments elles se rappellent à nous avec douceur.
Je n’ai pas pu aller au Dôme du Rocher, haut lieu sacré de l’Islam. Le temps du ramadan interdisait aux non-musulmans de s’y rendre et pourtant un soir, je n’y fus pas très loin. Il était 16h30 déjà ! Il me fallait rentrer car l’heure de la fin du jeun du ramadan arrivait et toutes les portes d’accès au quartier musulman se trouveraient fermées. L’Austrian Hospice est justement dans ce quartier. Je me faufile d’une ruelle à une autre lorsqu’un militaire m’arrête. Je ne dois pas être ici, c’est l’heure de la prière, ce n’est pas prudent. Je lui explique que j’habite Via Dolorosa, que ce n’est pas loin, que je connais la route, à peine cinq minutes. Il me laisse passer à contre cœur, les conséquences d’un problème ici peuvent être grandes pour toutes les communautés. Je suis dans David Street, la rue qui part de la porte de Jaffa jusqu’à l’esplanade des mosquées, je dois tourner un peu bas à gauche. Mais la foule s’épaissit, le soleil se couche si rapidement, l’obscurité nous emplit, les pas s’accélèrent, dans quelques instants ce sera l’appel à la prière, il faut que chacun soit sur l’esplanade des mosquées au pied du Dôme du rocher. Le Coran dit que c’est l’ultime endroit où le prophète Mahomet a posé le pied sur cette terre avant de monter au ciel. C’est pour cela que cet endroit est aussi l’un des lieux les plus sacrés de l’Islam. Autour de ce rocher où l’on peut encore voir l’empreinte du pied du prophète, les musulmans ont construit un dôme, un dôme en or. Et cette mosquée sacrée entre toutes est à la place exacte du Temple de Salomon avant sa destruction et dont la reconstruction est l’un des piliers du Judaïsme. Impossible de construire à nouveau le temple sans détruire les mosquées sacrées. Quel cruel dilemme !
Via Dolorosa, je sais qu’elle est là- bas, mais le noir de la nuit alourdit tout. Les fumées envahissent le souk, elles annoncent la fin du jeun et le début des prochaines agapes. Quelque part plus loin il y a l’Austrian Hospice, derrière moi le mur des lamentations et là juste devant l’esplanade des mosquées. Je descends de plus en plus rapidement David Street, le bruit se fait de plus en plus fort, la musique aux sons d’Allah s’accroche au mur, inonde le sol, pénètre dans les moindres recoins du souk. Je suis pris dans le torrent des gens, irrémédiablement emporté par une foule qui ne se contrôle plus.
49.99 écrit en noir là- bas au loin sur une affiche tout en hauteur. Je me rappelle c’est une robe, une longue robe noire bordée d’une fine dentelle. Ce chiffre est le prix, je n’avais pas compris pourquoi ce seul prix était indiqué dans presque tout le souk alors qu’ici, la valeur n’existe qu’à l’instant de l’échange. Mais ce prix je sais qu’il est à cent mètres à peine de mon sanctuaire. Tout s’arrête. Une longue clameur envahit le souk. C’est l’appel à la prière. Le flot devient torrent et je ne peux rien y faire, ni à droite, ni à gauche, nul endroit où aller, suivre, quoiqu’il arrive suivre dans le même mouvement vers là-bas, vers l’esplanade où je n’ai pas le droit d’aller. Une main m’attrape alors à nouveau, me tire dans une petite échoppe emplie d’épices aux couleurs et senteurs d’ici. Le vieil homme tout en blanc me fait signe de rester là, d’attendre, qu’il ne faut pas que j’aille par là. Au loin je vois l’hospic, je lui fais signe que je vais là- bas. Il me dit que non, que je dois attendre ici. Le bruit augmente, c’est une vraie marée, à croire que chaque âme de Jérusalem converge vers le même endroit. Et puis tout s’arrête, plus personne, que le bruit de la prière. Le vieil homme s’agenouille sur son tapis, me sourit et je comprends que je peux y aller. L’Austrian Hospice était là à quelques mètres et je ne serais jamais allé sur l’esplanade des mosquées.
A l’aéroport Ben Gourion, le contrôle durera plus de deux heures. Rien que pour moi, comme une faveur personnelle. Deux heures de questions et de fouilles, deux heures de suspicions. Pourquoi suis-je venu en Israël, suis-je seul, qu’ai-je fait. Les mêmes questions toujours posées à nouveau, mes bagages défaits au vu de tous. Ils se relaient pour me poser inlassablement les mêmes demandes. Mon anglais s’appauvrit au grès des interrogations. Il fait chaud tout d’un coup. Parfois ils sourient, s’étonnent de ce que contiennent mes bagages. Les touristes rapportent des souvenirs d’ordinaire, pas moi. Pourquoi ? Parce que je reviendrai. Pourquoi ? Because it’s like that ! Et puis mon avion qui va partir sans moi. Le contrôle s’accélère et je passe du statut de présumé terroriste à celui de VIP. Passage de tous les contrôles de sécurité en priorité et un porteur spécial pour mon sac à dos. Il me reste une petite demi-heure en zone internationale. J’achète le Jérusalem Post, un café trop chaud qui restera en Israël. L’avion, trois places pour moi, cadeau des services de sécurité me dira l’hôtesse. Madrid, Paris, je vous écris d’Antigua, il est tard, j’ai ramené une jolie grippe d’Israël. Le vent sur les toits de Jérusalem aide l’économie médicale du Guatemala.
Lors de la pâque juive, les convives ont émis un unique vœu pendant des milliers d’années : «L’année prochaine à Jérusalem ! »
Merci à Agnès pour m’avoir donné encore plus envie de venir, merci à Sarah pour tout, pour l’adresse des falafels. Merci à John et Lisa de m’avoir donné la possibilité d’y aller. J’ai passé des heures de Jérusalem à Madrid, puis à Paris et Antigua avec « Ô Jérusalem » de Dominique Lapierre et Larry Collins aux Editions Pocket.
05 novembre 2006
Voila demain , je prends un avion pour Paris. Cet après-midi, je vais pour la dernière fois a l’école d’Alotenango. Dernier vrai contact avec la vie du Guatemala. Quelques moments encore avec les enfants, quelques opérations, multiplications, divisions et puis soirée au « Travel Menu », un chow mein, peut-être plusieurs Cuba Libre.
Il y a peu de temps, quelqu’un m’a demandé ce que ce moment ici m’avait apporté. C’est difficile de tout exprimer car j’ai rencontré tellement de gens différents, tellement de lieux différents, tellement de choses a faire.
J’ai regardé la misère, celle qui fait oublier la vie pour simplement survivre. Comme un spectateur juste malheureux de l’intérieur pour ceux qui tu rencontres et qui ont si peu. J’ai tellement voulu prendre d’enfants, les emporter si loin de tout cela. Me révolter et crier quand tout semblait si injuste, d’autres si nantis, eux si démunis.
J’ai vu des gens venir du monde entier, porteur d’une espérance. Ici pour trois mois, six mois, un an et sans rien dire, juste par envie, donner un peu de leur vie. Et puis d’autres, incroyables d’indifférence, seulement passer et regarder. Un aussi effrayant contraste, de gens bien portant se donnant en spectacle et en importance pour quelques argents dispensés de ci et de là.
J’ai découvert un pays aux milles richesses, aux paysages toujours différents. D’antigua a Livingston, de Todos Santos a Solola, de San Marcos a Nebaj, des gens jamais les mêmes. Des coutumes colorées, des fêtes musicales, des odeurs et des saveurs. J’ai pris des bus, des taxis, des camions, des pick-ups, toujours d’un point a un autre traversant en tout sens ce beau pays. Parfois perdu mais toujours retrouvé par quelqu’un qui savait me mettre a nouveau sur la bonne route.
J’ai rencontré Antigua, mon port d’attache. Ville aux milles couleurs, résonnante du bruit des calèches sur les pavés des rues ombragées. Toujours vivante, aimante. J’y ai croisé tant de voyageurs, pour une heure, un jour ou si longtemps. J’y ai prononcé mes premiers mots d’une autre langue. Goûté a tant de saveurs étranges. Et puis assis dans le parc ou bien dans un café, j’ai retrouvé les grands auteurs d’antan, de Stendhal á Chateaubriand. J’y ai vu partir un par un tous mes amis, revenir vers leurs pays d’origine. Ces soirs de veille, quand un avion allait emporter l’un de nous et que de verre en verre on se disait que l’on se reverrait.
Et puis des coups de cœur immenses, simplement parce que dans l’urgence, il faut aimer sans attendre. Anna de Casa Guatemala, ses deux ans, son sourire, ses grands yeux et son départ, elle qui m’enlève encore aujourd’hui tous mes mots. Daniel de l’Hôtel Backpacker, nous deux assis au bord du lac Izabal, regardant le jour finir. Sergio, mon petit amigo d’Antigua, vendeur de bracelets qui rend mon sac plus lourd et mon cœur plus triste de partir. Ces gens d’ici et d’ailleurs. Miriam, de tout et tout le temps, comme deux survivants nous avons regardés ensemble les autres partir, et je la laisse seule. Christopher, du premier instant comme deux vieux copains jusqu’au dernier jour comme deux nouveaux amis. Andréa, ces discussions du soir, si difficiles entre deux langues et puis tant d’autres, dans ma mémoire.
Et un lieu entre tous, celui de tant de moments, celui du sourire de Jesper, celui des jeux les après-midi pluvieux. J’y ai lu « Une vie », « Corps Etrangers » et bien d’autres histoires au Travel Menu.
Merci a tous ces gens d’ici et ces gens d’ailleurs d’avoir été là.
Antigua – Guatemala, il est dix heure, le soleil brille.
14 Octobre 2003
Cincuenta bloques en cada cuarto, nous sommes mardi, il est 08h15 et c’est la première phrase que va me dire Juan Carlos bien avant le traditionnel buenos dias. Il y a quatre pièces dans la maison ce qui fera en fin de journée près de deux cents parpaings de cinq kilos chacun a déplacer, une tonne de béton. En fait le compte exact sera de près de deux tonnes déplacées. Je finirais la journée épuisé, les bras endoloris, mais avec le regard droit et fier vers mon chef de chantier.
Nous sommes arrivés dimanche apres-midi a Solola. C’est une petite ville tranquille sur les hauteurs du lago Atilan, pas très loin de la touristique Panajachel. L’objectif est simple, construire quatre maisons en une semaine. Pour cela chaque chantier dispose d’une équipe de travailleurs locaux d’environs sept a huit personnes et nous sommes en tout quatorze volontaires de plus. Le volontariat étant la pour réduire le plus possible les coûts de main d’œuvre. Ces maisons sont destinées a des familles pauvres de Solola.
Il pleut sur Solola, les pickups nous emportent sur les lieux de l’inauguration. C’est une maison comme celles que nous allons construirent. Faite de quatre pièces, des murs en parpaings gris, un sol en béton, un toit en tôle ondulée. La pluie frappe sur le métal pendant le discours du responsable local. Il est question de Dieu, de son immense bonté, de ses maisons que nous allons construire qui sont tout autant les habitations des hommes que celles de Dieu. Et puis, ils parlent des volontaires venus de tous les pays, explique qu’il y a de la solidarité dans l’homme. L’un d’entre nous traduit en anglais. La pluie, l’espagnol, l’anglais, je suis le seul français avec beaucoup de mal a comprendre tout cela, mais vraiment content d’être ici. Au dehors les enfants jouent sur un monticule boueux, autour ce ne sont qu’habitations faites de bric et de broc.
Nous allons vivre dans la permanence d’un candidat aux prochaines élections présidentielles de novembre. Deux étages, les filles en haut, les garçons en bas, une douche, un seul toilette et une salle a manger, ce sera chez nous pour une semaine. Tout de suite l’usage de l’anglais va être instauré. C’est une étonnante constante chez les volontaires de vouloir toujours garder une langue différente de celle du guatemala. Une nouvelle fois, je dois indiquer que je ne parle pas anglais, seulement français et un peu d’espagnol. En fait ce n’est pas tout a fait exact, je peux maintenant me débrouiller facilement en anglais ainsi qu’en espagnol.
Là, ce fut l’émerveillement. Notre chantier se trouve sur les contreforts de Solola, juste en face du Lago Atitlan. Toute la journée nous avons une vue magnifique sur les volcans. Derrière nous le cimetière de Solola, tout en couleur, tout en hauteur. Autour de nous des champs a flanc de montagne, des paysans courbés travaillant la terre dans leur tenue traditionnelle. Le chantier est en aplomb, les fondations bien entamées, et les blocs de béton qui nous attendent. Nous sommes trois volontaires, Hannah, Sabrina et moi. L’équipe nous regarde arriver sans plus d’émotion que cela. Je crois que pour eux nous sommes des touristes qui se font plaisir en venant donner un petit coup de main. Il me faudra deux tonnes de béton pour dire que non.
Machette á la main, nous retaillons les blocs un par un. Ici tout se fait á la main. Le transport des matériaux, le modelage des crochets, des blocs, des tôles. Le sable que nous tamisons heure après heure, jour après jour. Le ciment que nous préparons a grand coup de pelle. L’organisation est différente, un peu anarchique, un peu désordonnée, nous laissant parfois dans une oisiveté contemplative. Ici chacun n’a pas sa tache, il a son niveau de compétence dans le travail a effectuer. Pour nous ce sera le plus simple, tamiser la terre, transporter les seaux de ciments, les sacs de sable, aplanir a grand coup de pioches et puis plus tard, les jours passant, nous pourrons regarder avec fierté ce bout de mur qui vient de naître de nos mains.
Une brume épaisse s’installe en début d’après midi. Nous sommes en terre montagneuse. Le Lago Atitlan est en fait installé dans un immense cratère de volcan, le plus grand du monde. La pluie apparaît, d’abord fine et éparse, puis puissante et grondante. La terre se transforme en boue et nous ruisselons de toute part. Tout doit être fini en fin de semaine, être mouillé n’est pas une raison valable pour s’arrêter de travailler. Alors nous continuons. Nous partageons ensemble le même objectif et c’est la première fois au Guatemala ou j’ai l’impression que les différences n’existent plus. Nous sommes là, boueux et trempés, travaillant sous une pluie diluvienne afin de finir dans les temps une maison qu’une famille attend.
Il y a Hannah et Sabrina. Elles veulent aller au bout. Au bout de leur choix de volontaires alors elles travaillent comme tous, forçant le respect de chacun. Elles transporteront les sacs, tamiseront pendant des heures et des heures. Je m’arrête parfois pour les regarder faire, elles ont vingt ans. Nous plaisantons souvent, J’apprend a dire des bromas en espagnol ce qui fait rire toute l’équipe. Nous partageons tous le même repas du midi. Sans fourchette et couteau, le premier jour Sabrina se bat contre un morceau de viande un peu trop dur. Nous finissons tous les trois nos journées épuisés.
Samedi après-midi, la maison est terminée. Il ne reste que le sol a peindre mais il pleut et le béton est trop humide, il faut attendre. Je dois rentrer sur Antigua. Claudia part ce soir pour l’Allemagne, retour au pays. Le bus de Solola á Chimaltenango puis Antigua. Je retrouve Janeth et Esdras, ce fut une semaine formidable.
Ils seront huit a vivre dans la maison, Une grand-mère, quatre frères et sœurs et trois enfants. Tout a coté dans la tienda, la mère de José Armando me dit qu’elle voudrait bien avoir la même maison. Pour le moment ils vivent a six dans une petite cabane minuscule faites de tôles et de planches de bois.
Te prometo jose, te envíe las fotografías y si puedo, vendría a ayudarte a construir tu casa un día. Hasta luego pequenio hombre.
01 Octobre 2003
Le soleil va se lever dans quelques instants. J’écoute dans le silence de la casa de los volontarios les bruits de la foret qui s’éveille. Il est maintenant près de cinq heure et quart, je me lève doucement, fatigué d’une nuit une nouvelle fois trop courte. Pas d’eau, ni d’électricité, ni de gaz ce matin. La bouteille de gaz a rendu l’âme hier soir, l’eau devrait être rétablie rapidement, mais toujours trop tard pour pouvoir prendre une douche et l’électricité n’est pas installée dans notre maison.
Pas de thé, assis dans un fauteuil trop usé, je grignote quelques galettes en regardant émerger difficilement les autres volontaires qui tout comme moi, aujourd’hui, vont s’occuper des chiquitos. Le soleil se lève, il est cinq heure trente et nous devons y aller. Sur le chemin, quelques ninos sont déjà debout. Il y a de la lumière dans le dortoir de chiquitos, peut-être seront-ils réveillés !
Au milieu de la pièce, quatre matelas posés a même le sol. Au matin on retrouve ainsi sept ou huit petits qui dorment ensemble dans ce lit improvisé durant la nuit. Seul Timo semble être sorti du sommeil. Angelica et Yadira n’ont pas quittées leur lit. Je me dirige vers Anna, allongée au milieu de tous.
Le premier jour ou je suis arrivé, j’ai croisé le regard d’Anna, elle est venue vers moi, je l’ai pris dans mes bras. Depuis ce moment, elle est ma préférée. C’est une petite fille de deux ans, aux yeux immenses qui vous regardent et vous transpercent le cœur instantanément. Le soir, Anna a toujours besoin de quelqu’un pour dormir. Je prend un livre, lui parle un peu en espagnol, un peu en français et elle s’endort ainsi dans mes bras. Au matin, j’aime la réveiller, lui parler doucement, la regarder au moment où elle ouvre les yeux pour la première fois.
Tous les enfants doivent prendre une douche. Il est presque six heure lorsque nous commençons les négociations. Les minutes sont longues, très longues et inlassablement nous répétons toujours les mêmes mots. A la doucha por favor, suplique inutile a laquelle l’on rajoute rapidement, mas rapido, es la hora para comer. Le mot « comer » est bien souvent un mot magique ici, il signifie qu’il est l’heure de manger, moment très important dans la journée des chiquitos.
Je n’ai pas trouvé de mot magique pour Anna. Je la prend simplement dans mes bras et lui laisse alors le temps de se réveiller doucement. Parfois je croise le regard désapprobateur d’un autre volontaire, mais si il ne peut pas comprendre simplement en regardant, comment pourrais-je lui expliquer. Il ne me reste plus qu’à jongler avec les autres afin de les laver, un bras occupé avec Anna et un autre pour savonner, sécher et habiller.
Il nous faut plus d’une heure pour que tous les chiquitos passent à la douche et que l’on puisse enfin les habiller. Nous prenons la direction du réfectoire, en face du dortoir. Petit rituel, « un, dos, tres » avant de prendre place à la grande table. Bien souvent le petit déjeuner se compose du triptyque immuable des repas de Casa Guatemala : huevos, frijoles et arroz (œufs, haricots noirs et riz). J’ai toujours un œil sur Anna. Au Guatemala, les gens n’utilisent que très rarement les couverts comme nous autres. Ils se servent de tortillas et confectionnent avec leurs mains des sortes de sandwich.
Les premières fois ou j’ai vu Anna manger, j’ai du sortir du réfectoire. Elle mangeait exclusivement avec ses mains, déposait une grande partie de son repas sur la table, jouait un peu avec, le mangeait, se battait avec son voisin pour que celui-ci ne le lui vole pas. J’avais en moi mes images occidentales, mes us, coutumes et manières de faire. J’avais ce que j’avais appris de l’hygiène. Je voyais alors Anna, petit enfant, ailleurs de cet endroit où je croyais indispensable qu’un enfant fût et mes yeux trahissaient ce bouleversement émotionnel qui s’opérait alors violemment en moi. Et pourtant, elle souriait de ce jeu alimentaire, continuait a me regarder de ses grands yeux et me faisait voir le chemin de ses mains garnies de nourriture se dirigeant vers sa bouche comme voulant me dire, tu vois je mange. Encore aujourd’hui, je ne peux me défaire de cette image et lorsqu’elle est en moi, je sors a nouveau du réfectoire.
Il est sept heure trente. Nous emmenons les enfants à l’école. Sous le préau, chaque classe est en ligne devant son professeur. Voila plus de deux heures que nous sommes levés et nous avons maintenant devant nous un moment de libre. Je retourne a la casa de los volontarios. Je n’ai jamais pu m’habituer au petit déjeuner très matinal et très typique du Guatemala. A six heure trente du matin, les œufs et les frijoles ont toujours du mal à passer pour moi. Alors je me prépare un petit déjeuner qui est plus proche de mes habitudes. Entre temps, Patrick a rapporté une nouvelle bombonne de gaz et nous pourrons ainsi faire chauffer un peu d’eau. Un peu de thé, une bouillie de maizena à la vanille. Puis quelques instants vides, le regard perdu sans un mot. Autour de moi chacun s’affaire. Les uns sont professeurs, d’autres vendent les œufs de notre ferme dans les villages alentours, d’autres encore s’occupent de poterie ou de théâtre.
Je vais prendre ma douche. Cela est devenu un rituel. C’est un moment très important pour moi. Ici tout est sale. Nous sommes en pleine saison des pluies, la terre est rouge et boueuse. Les moustiques omniprésents vous transforment très rapidement en plaie vivante. Les vêtements ne tiennent pas une heure propres et nos jambes sont souvent maculés de boues. La douche a trois fonctions essentielles. Elle permet de re-devenir propre, on se désinfecte un peu de toutes les piqûres de moustiques et puis, c’est le seul moment où l’on peut avoir un peu d’intimité.
Nous sommes vingt quatre dans la maison et celle-ci n’est pas très grande. Il n’y a pas un instant dans la journée ou l’on peut se retrouver un peu seul dans un espace où l’on pourrait croire qu’il nous appartient. A Casa Guatemala, il y a toujours quelqu’un à côté de soi ou pas très loin. Mais lorsque l’on referme le rideau de la douche et que le bruit de l’eau couvre la vie des autres, alors enfin ce moment vous appartient. Faute d’alternative, j’ai appris à prendre des douches froides, très froides. Mais les chiquitos, une heure avant moi, l’on fait aussi, alors …
Le temps qui va suivre, avant qu’il ne soit onze heure et que l’on récupère les chiquitos à la sortie de l’école, ne va me servir a rien du tout, parfois trop court, parfois trop long et puis ici, en dehors de s’occuper des enfants, il n’y a rien a faire. J’en profite souvent pour téléphoner en France. Je raconte des choses et d’autres, mes joies, mes peines. Je n’arrive pas a dire que c’est difficile, non pas le travail, mais les enfants. Etre là, au milieu de tous, avec des souvenirs de bien longtemps qui me reviennent. Toutes ces choses que je ne peux accepter, ces injustices et puis les regards d’Anna ou d’un autre qui parfois me brûlent le cœur.
J’ai le double de l’age des autres volontaires, nos langages sont diffèrent, nos histoires autres. Je n’arrive pas leur expliquer que les rituels de vie que l’on impose aux enfants sont bien dérisoires. Que la nécessité est autre. Qu’au delà de leur présent, c’est leur histoire que l’on construit ici et maintenant. Que dans quinze ou vingt ans, ils demanderont peut-être ce qu’ils étaient lorsqu’ils avaient cinq ans. L’on se doit de laisser des traces, raconter les histoires, donner des images pour que demain ils sachent un peu de leur enfance. Dire que des gens les ont aimés et se sont occupés d’eux simplement parce qu’ils le voulaient.
A onze heure, la maîtresse d’école emmène les chiquitos au réfectoire pour le déjeuner. Nous en profitons nous-même pour avaler notre traditionnel Huevos-Frijoles-Arroz. Repas rapidement pris assis á terre le long du dortoir des ninos. A peine dix ou quinze minutes plus tard nous voyons sortir les premiers petits. Ils se précipitent bien souvent vers nous et ainsi nous voila parti pour deux heures en attendant la rentrée des classes de l’après-midi.
La mère de Inyuri, vient nous dire que cet après-midi, sa fille n’ira pas a l´école, qu’elle la garde avec elle. Je ne sais pas exactement quoi, mais quelque chose en elle me choque tout d’un coup. Elle travaille à Casa Guatemala et a laissé sa fille à la charge complète de l’orphelinat. Cela ressemble à un abandon, sans en être un tout a fait. Situation tout a fait ambiguë et probablement très difficile a comprendre pour Inyuri.
Je sais ce que j’ai trouvé de bizarre dans la mère de Inyuri aujourd’hui. Hier elle était enceinte et aujourd´hui, elle ne l’est plus ! J’ai appris plus tard dans la journée, qu’elle avait accouchée dans la nuit et que son enfant avait été envoyé aussitôt à Guatemala City dans l’orphelinat pour bébé. La mère était venu ainsi travailler le lendemain matin et avait demander a voir son autre fille dans l’après-midi. C’est vrai qu’elle avait un regard triste aujourd’hui, plus triste que d’habitude.
Apres chaque repas, tous les enfants doivent se brosser les dents. Une fois se rituel passer, nous pouvons ensemble aller à la playroom. C’est une petite pièce dans laquelle se trouve énormément de jouets et que les chiquitos adorent. Nous y passons un peu plus d’une heure et puis arrive vite le temps du retour en classe.
Le chemin pour aller vers le préau à cette heure-ci est toujours un peu difficile pour nous autres volontaires. Il y a une sorte de voie que les enfants devraient normalement emprunter, mais qu’ils s’ingénuent à éviter. Ainsi devons nous courir a droite ou a gauche afin de les récupérer. Une des obligations fortes que l’on a lorsque l’on est avec les chiquitos et de tous bien les surveiller et de les compter en permanence. La raison évidente est de ne pas en perdre un. Alors le danger n’est pas trop de ne pouvoir le retrouver, puisque Casa Guatemala n’est pas très grand. Le danger provient des autres enfants plus grands. Avant d’être ici, beaucoup d’entre eux ont subis des sévices sexuels et ont tendance à vouloir les reproduire sur les chiquitos. C’est arrivé á plusieurs reprises ici et nous restons alors très vigilants.
Il est treize heure dix, les chiquitos sont avec leur professeur et nous avons quelques temps de libre avant seize heure, heure à laquelle nous devrons à nouveau les récupérer. Durant ce temps là, je n’ai pas trop d’occupations. Un peu de soleil sur le bord du lac, une bouteille de coca, j’essaie de lire, mais la chaleur est bien souvent étouffante. Et puis le temps passe très vite. Il est déjà venu le temps des chiquitos.
Quelques minutes dans la cour, sous le soleil ou bien sous la pluie. Pour les enfants la pluie est une véritable bénédiction, cela veut dire qu’ils vont nous obliger à venir les chercher. Ici les pluies sont diluviennes. Ils courent, et nous autres les pourchassons, mouillés jusqu’aux os. Nous arrivons á en rattraper un et c’est un autre qui part. Enfin, ils sont tous regroupés dans le dortoir.
Deuxième douche de la journée, j’ai toujours Anna á la main. Une femme de l’office arrive et nous dit que nous devons préparer spécialement Anna. Interloqués, nous lui demandons alors pourquoi. Elle nous répond qu’Anna part ce soir pour Guatemala city et qu’elle doit voir sa mère. Anna n’a jamais vu sa mère, elle a toujours été dans les rues de Guatemala City. Une volontaire va s’occuper particulièrement d’elle pour qu’elle soit belle.
Quelque chose ne fonctionne plus en moi, je ne comprends pas trop ce qu’il se passe. Je prends Monica par la main et l’emporte vers la douche. Elle ne veut pas, pleure doucement. J’essaie de la savonner en lui parlant mais elle continue de pleurer. Je l’enveloppe alors dans une serviette, la sort de la douche et la pose sur la table d’habillage, elle pleure toujours. Et puis, plus rien. Un regard vide, si loin, si triste, elle ne pleure plus, ne bouge plus. Elle n’est plus la, partie dans un autre monde. Je la prends contre moi et nous partons ensemble un peu plus loin. Anna que l’on prépare pour partir et Monica dans mes bras qui tout doucement met ses mains autour de mon cou et s’endort.
Je la pose délicatement dans son lit. Il est un peu plus de dix neuf heure, tous les chiquitos dorment, sauf Anna que l’on finit de préparer. C’est la fin de notre journée.
Nous sommes mercredi. Ce soir nous irons tous a l´hôtel Backpackers pour un peu d’internet et boire tranquillement un verre entre nous. Dans le bateau, Anna est á coté de moi, nos derniers moments ensemble, une dernière photo.
Quelques jours après nous apprendrons que le juge a décidé qu’Anna resterait chez sa mère. Nous ne la reverrons sûrement plus jamais.
Casa Guatemala est au Guatemala, il y a plus de deux cent cinquante enfants. Beaucoup d’entre eux, ont été violés et battus par leurs parents. Beaucoup vivaient dans les rues des villes, abandonnés. Ils sont maintenant dans un village orphelinat en pleine jungle tropicale sur le bord du Rio Dulce.
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